Ce n’est peut-être pas un sujet auquel vous aviez pensé, mais voici certains éléments très simples pour porter un regard plus critique sur tout ce qui se dit autour du carbone forestier et de sa comptabilisation.
Que ce soit pour atteindre les cibles internationales de lutte contre les changements climatiques, les cibles provinciales, la production de crédits carbone ou peut-être même prendre en compte le carbone dans l’aménagement forestier provincial, le carbone forestier est de plus en plus présent dans nos vies. Cet enjeu devient central dans la mise en place de politiques publiques. Les réglementations sont presque inexistantes et la compétition fait rage entre les acteurs du milieu.
Alors que la comptabilisation du carbone sur le plan international est largement encadrée par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), le marché du carbone est aujourd’hui une « jungle ».
C’est pourquoi, lorsque nous sommes confrontés à une analyse sur le carbone forestier, il est primordial de regarder quelle est la méthodologie utilisée. A-t-on sous les yeux une étude faite selon les lignes directrices du GIEC? Une comptabilisation pour des crédits carbone certifiés et reconnus (VCS, Gold standard)? Ou au contraire une méthodologie peu transparente? Non reconnue? Se questionner sur la source des analyses que l’on regarde est le premier regard critique que l’on devrait toujours porter.
Maintenant, il est aussi important de comprendre que la base de la comptabilisation du carbone forestier est son cadre d’analyse. Autrement dit, quels sont les éléments qui sont considérés dans notre comptabilisation du carbone forestier? La forêt ou bien les produits du bois? La substitution? Tous ces éléments ensemble? Regarde-t-on seulement le flux annuel ou bien leur somme sous la forme d’un flux cumulatif?
Selon les éléments pris ou non en compte dans le calcul, les conclusions pour un même écosystème peuvent s’avérer complètement différentes! Et comme une image vaut mille mots, voici un exemple représentatif de la forêt commerciale boréale québécoise pour illustrer l’importance de ce cadre d’analyse.

Intéressons-nous tout d’abord à la courbe Flux annuel : Forêt. Elle illustre la dynamique du carbone dans une comptabilisation annuelle du carbone dans l’écosystème forestier uniquement. L’effet de la récolte est nettement visible à l’année de la perturbation, les années suivantes sont elles aussi des émissions (valeurs positives) dues à la décomposition des débris au sol. Il faut attendre 20 ans après la coupe pour que la séquestration annuelle de carbone dû à la croissance de la végétation devienne plus importante que les émissions liées à la décomposition.
La courbe Flux annuel : Forêt + Produits + Substitution représente une comptabilisation des flux annuels de carbone de l’écosystème forestier, de la substitution, du stockage de carbone dans les produits du bois et de leur dégradation. C’est toujours vingt ans qui sont nécessaires au peuplement pour redevenir un puits annuel de carbone. On voit cependant une forte séquestration à l’année 1, c’est la prise en compte de la substitution (considérée comme un flux de séquestration)!
La courbe Flux cumulatif : Forêt + Produits + Substitution représente exactement la même chose que la courbeFlux annuel : Forêt + Produits + Substitution, mais les valeurs annuelles ont été additionnées entre elles pour créer une courbe cumulative. Ici, c’est plus de 50 ans qui sont nécessaires pour que la somme des séquestrations annule les émissions engendrées durant les 20 premières années. Donc, même si à partir de vingt ans la végétation séquestre du carbone, ce peuplement aura un effet séquestrateur net plus de 55 ans après la coupe!
Ces exemples illustrent parfaitement que pour un même peuplement, de multiples lectures de comptabilisation peuvent exister. Aucune n’est fausse, mais c’est à nous d’exprimer notre regard critique sur les conclusions qui peuvent en être faites.
Maintenant, savez-vous que malgré tous ces éléments sur lesquels vous pouvez maintenant porter un regard critique, il en reste un très grand nombre dont il n’a pas été question dans ce billet?
Le
principal étant que dans la lutte contre les changements climatiques, le
carbone et les gaz à effet de serre ne sont qu’une partie de l’enjeu. Car il
existe bien d’autres phénomènes qui impactent ce qu’on nomme le forçage
radiatif[1] terrestre (https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2020/02/ar4-wg1-sum-vol-fr.pdf Page
32) et sur lesquels l’aménagement forestier
peut jouer un rôle important. La
complexité de ce rôle fait d’ailleurs l’objet de recherche partout dans le
monde et notamment au Québec.
Je
vous invite donc à vous renseigner sur l’ensemble des éléments abordés dans cet
article afin d’affûter votre regard critique et plus largement votre compréhension
de la dynamique du carbone forestier!
[1] Le forçage radiatif représente la quantité d’énergie supplémentaire retenue dans l’atmosphère sous forme de chaleur en raison d’un phénomène climatique susceptible d’influencer le climat.